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Rencontre
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La brise matinale faisait
virevolter la longue chevelure de Déborah, véhiculant sur
son visage une délicieuse sensation de fraîcheur. L'air alentour
embaumait le jasmin, la rose, et leurs fragrances subtiles témoignaient
que le printemps semblait là, désormais. Les quais de la
Seine, déserts à cette heure de la matinée, guidèrent
ses pas au hasard de sa promenade. Son attention se porta ostensiblement
sur l'onde proche. Elle se remémora les instants de contemplation
au cours desquels, jadis, son regard d'enfant scrutait les rives du fleuve.
Elle y retrouva les repères familiers de sa jeunesse qui, alors,
apaisèrent probablement son âme d'adolescente. Un peu plus
loin, le bruit de ses escarpins se répercuta en écho sous
les voussures des vieux ponts, signalant son approche aux moineaux sautillant
pour dérober quelques miettes de pain qu'elle leur lançait
à la volée. Ils lui adressèrent des petits piaillements
en remerciement de son geste, s'ébattant dans un concert de gazouillis
chargés de reconnaissance. - "Édith doit m'attendre,
pensa-t-elle
" Les deux jeunes femmes aimaient
beaucoup cet endroit typiquement parisien, bondé le plus souvent
d'habitués qui, à tous moments de la journée, venaient
se plonger dans l'univers particulier qu'offrait l'endroit. Une sorte
de microcosme subtil, composé du mélange d'odeurs diverses,
de fumée, de rires, de chuchotements et surtout du mystère
des rencontres
comme celle qu'allaient faire Déborah et son
amie
L'homme élégant entra, adressa le bonjour à
la cantonade, puis passa devant leur table, tandis que Déborah
riait aux éclats de la dernière blague salace que lui narrait
son amie. Celle-ci demeura avec sa tasse à café en l'air,
comme si un évènement surprenant avait soudainement attiré
son attention. Son regard semblait scruter quelqu'un, quelque chose, par-dessus
le visage de Déborah. - Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai un
bouton sur le nez ? interrogea celle-ci. Cette fois, les amies gloussèrent
à l'unisson. Pendant ce temps, l'inconnu en question passa commande
d'un copieux petit déjeuner et se plongea dans le journal déployé
devant lui en attendant le retour de Maurice. Édith attrapa au
passage le garçon de café par son tablier et lui demanda
à voix basse : Les deux amies rirent tellement,
qu'elles attirèrent l'attention de leur voisin
Il posa sur
elles un regard sibyllin en leur adressant un sourire à faire se
damner une abbesse. Le clin d'il d'Édith qu'il reçut
en retour, fut sans équivoque
L'homme en question rassembla alors
ses affaires, puis vint se présenter aux jeunes femmes avec une
extrême courtoisie. Une fois le service installé,
Maurice leur souhaita un bon appétit et s'en retourna au bar, non
sans jeter un coup d'il salace à Édith qui le lui
rendit sans complexe. - Dommage ! Nous aurions pu déjeuner
ensemble dans un restaurant de Montmartre, et vous faire visiter Paris
cet après-midi, regretta Édith. Nous sommes en congé
Il était dix-neuf heures
précises lorsqu'elles se retrouvèrent devant le palais de
justice. La secrétaire à l'air renfrogné qui les
accueillit se demanda soudain si elle ne rêvait pas. Si les splendides
créatures qui demandaient après Maître Olkanov ne
sortaient pas d'un magazine de mode, à l'instant même. Écurée,
elle leur indiqua où se trouvait le bureau de l'avocat, puis observa
d'un il torve les jeunes vamps monter en riant les degrés
de pierre du monumental l'escalier qui menait aux étages, avec
un sentiment de profonde injustice. La porte capitonnée était
entrouverte. Les deux amies entendirent Dimitri s'exprimer dans sa langue
maternelle avec une aisance qui leur fit chaud au cur. Manifestement
il s'agissait d'une proche
ce qui alarma Édith. Elles passèrent
l'huis pour se retrouver devant un Dimitri, chemise ouverte, le corps
rejeté en arrière dans son fauteuil et les jambes croisées
sur le bureau. Lorsqu'il les vit, il rectifia sa posture, puis referma
en partie sa chemise en leur adressant des signes de bienvenue. La conversation
dura encore deux minutes et il raccrocha. - Je parlais à Tatiana, ma
surette. Elle parle de venir me voir à Paris et de s'inscrire
à la faculté de droit. Je suis heureux de cette nouvelle
!
Vous êtes absolument magnifiques ! Vous me faites un immense
honneur et je suis fou de joie à l'idée de vous inviter
ce soir. Il abandonna un court instant la
partie mais se rendit très vite compte que l'issue de la bataille
passerait inéluctablement par le bon vouloir de ces deux diablesses
et que lui, digne représentant du grand empire, devrait affronter
l'adversité avec bravoure
Il essaierait d'être à
la hauteur, du moins si la lutte demeurait équitable
Dimitri
logeait dans un appartement cossu situé près du bois de
Vincennes. Il ouvrit la porte d'entrée de celui-ci, et s'effaça
devant les beautés qui l'accompagnaient. Il leur fit visiter les
lieux, les installa au salon, puis ouvrit une bouteille de champagne avant
de trinquer en leur compagnie. - Je vous abandonne un court instant.
Mettez de la musique avec la chaine hi-fi qui est dans ce meuble. Surtout,
servez-vous à boire. Ne vous gênez pas et à tout de
suite. Déborah mesurait dans les
uns mètre soixante-dix-huit, sans les talons. Heureusement pour
Dimitri, sa taille d'un mètre quatre-vingt-huit le mettait à
l'abri de certains déboires. Son amie était belle, certes,
mais trop directe et un rien provocatrice
Il n'aimait pas les femmes
trop faciles, qui se donnent à qui veut bien les prendre
Bien entendu, elle n'était pas dénuée d'intérêt,
loin de là
Il aimait chez cette rousse aux yeux émeraude
son côté franc-parler, sa gouaille, ainsi que son humour
typiquement français. Assurément une superbe plante, à
peine plus petite que son amie, mais à manier avec la plus grande
habileté. Incendiaire et sulfureuse à souhait, doublée
d'une véritable bombe sexuelle assumant totalement sa libido
Dimitri se dit que la vie était
belle parfois, qu'il avait une chance inouïe et qu'il fallait saisir
cette opportunité sans se poser d'autres questions. Sa douche achevée,
il se rasa de près, s'inonda le torse et le visage d'eau de toilette
et passa dans sa chambre à coucher où il choisit dans sa
penderie un smoking noir ainsi qu'une chemise ivoire. Enfin, il chaussa
des mocassins lustrés comme des miroirs, puis sortit. Un concert
de sifflets, émit par la torride Édith, lui rappela que
la soirée serait sans nul doute homérique et bourrée
de surprises en tous genres
Il écarta les bras en tournant
sur lui-même comme s'il demandait l'avis de ses admiratrices, n'obtenant
d'elles que compliments. - Je suis à vous, mesdames,
si vous désirez passer la soirée en ma compagnie... En parfait gentleman, Dimitri appela
un taxi à qui il donna l'adresse du palace retenu par ses deux
amies. Il s'agissait d'un restaurant très huppé du seizième,
où le chef débordait d'imagination afin de satisfaire le
palais de ses convives. Le portier qui les accueillit avec une extrême
courtoisie, les introduisit dans l'un des saints graals d'une cuisine
dont les lettres de noblesse remontaient aux temps les plus reculés,
contribuant au renom du célèbre patrimoine culinaire français. On les installa tous les trois dans
un angle de la grande salle, à côté des baies vitrées
et un peu à l'écart des regards, car un vent de panique,
voire de folie, s'était soudainement levé à l'apparition
des deux sex-symbols. Du reste, certains convives ne se gênèrent
d'aucune façon pour dévisager avec insistance les nouveaux
venus. Regards réprobateurs pour certains, d'une envie manifeste
pour d'autres, obligés de faire malgré tout bonne figure
devant leurs épouses devenues soudainement apoplectiques
Les deux mannequins rivalisaient d'élégance. Dimitri laissa
aller son regard de l'une à l'autre, pendant que celles-ci consultaient
la carte des menus apportée par le maître d'hôtel.
Elles poussaient, de temps à autre, des petites exclamations de
gourmandise. Déborah avait opté
pour une robe fourreau de soie bleu nuit, qui ne laissait rien ignorer
de son anatomie tant elle épousait ses formes envoûtantes
L'affriolant vêtement soulignait une chute de reins bouleversante,
ainsi qu'un décolleté quasiment ouvert et ne tenant que
par miracle sur une poitrine dès plus orgueilleuse. En ce qui concernait
la flamboyante Édith, sa robe fuchsia ultra courte et totalement
échancrée, était tout simplement un appel au viol
Dimitri commanda du Dom Pérignon millésimé afin de
faire patienter ses amies dans l'attente du repas concocté par
le grand chef étoilé du célébrissime établissement.
Au moment où ils trinquèrent, il sentit une jambe au pied
nu se faufiler sous la table à la recherche de son entrejambe
Elle finit par trouver ce qu'elle y cherchait et demeura là, possessive,
avec une pression sans équivoque
Lorsqu'il croisa le regard
d'Édith, Dimitri ne put s'empêcher d'éprouver un choc
suivi de délicieux picotements au creux de ses reins. La jeune
femme désirait de toute évidence passer la nuit avec lui
promettant, par ses appels pour le moins appuyés, qu'il n'aurait
pas affaire à une ingrate. Elle entendait, sans nul doute, régler
sa part de l'addition en payant de sa personne
Déborah, n'ignorant rien
du manège de son amie, la connaissant sur le bout des doigts, en
profita ouvertement pour engager la conversation sur le thème de
la géopolitique, histoire de désamorcer une situation qu'elle
sentait instable
C'était de toute évidence sous-estimer
Édith car, diabolique comme pas deux, elle avait quasiment déstabilisé
Dimitri. Ne sachant plus où se mettre, horriblement gêné,
le malheureux avocat dut intervenir fermement afin de mettre un terme
à la provocation. Les plats vinrent à point
nommé, permettant de détendre une atmosphère un tant
soit peu électrique
Ils se régalèrent à
satiété, alternant les saveurs des mets délicats
avec celles des vins fins. L'ambiance devint franchement grisante pour
les convives, au point qu'au terme de la soirée les décors
leur parurent un tantinet mouvants. Le jeune chauffeur du taxi, qui
n'en perdait pas une miette, eut beaucoup de mal à se concentrer
sur sa route
Vingt minutes plus tard, son automobile stoppa devant
la minuscule entrée de la boîte de nuit indiquée par
Édith. Quelques instants encore et le pire aurait pu se produire,
autant à l'intérieur, qu'à l'extérieur, avec
un accident à la clef
En effet, dans la confortable douceur
de la limousine, flottaient les effluences musquées des parfums,
mélangés à l'odeur volcanique du soufre
Le
malheureux chauffeur, pour le moins émoustillé, lançait
sans arrêt des coups d'il d'envie à l'encontre des
méphistophéliques créatures, lesquelles lui laissèrent
bien volontiers apercevoir certains de leurs affriolants appâts
Il démarra en trombe, complètement écuré.
La vie s'avérait décidément bien injuste, parfois
Au cur de la discothèque, le vacarme était ahurissant.
Les décibels agressaient sans discontinuer les oreilles des festifs,
à tel point qu'il fallait hurler pour s'entendre. Tant bien que
mal, les arrivants réussirent à se frayer un chemin vers
un petit renfoncement où deux minuscules fauteuils les attendaient. Dimitri proposa à ses amies
de s'asseoir, le temps qu'il aille quérir quelques boissons. Édith
profita aussitôt de son absence pour demander à Déborah,
dans le creux de l'oreille : La pieuvre parfumée venant
de le ravir, déroula ses tentacules autour de son cou et s'y agrippa
avec l'énergie du désespoir, possessive à souhait.
Dimitri sentit le pubis de la jeune Française venir se plaquer
littéralement contre le sien, dans une attitude qui ne laissait
planer le moindre doute sur les intentions de la superbe rousse aux yeux
de jade. Il croisa son regard puis se retrouva en un instant la proie
d'une bouche vorace venant au-devant de la sienne. On eut dit qu'Édith
jouait son va-tout en jetant dans la bataille toute la séduction
dont elle était capable. Envoûtante à souhait. Le
baiser ultra fougueux qui s'en suivit, fut d'une extrême avidité.
Dimitri, au bord de la syncope, réussit tout de même à
reprendre son souffle. Il regarda avec une certaine angoisse sa compagne
et lui demanda : - Il n'y a pas de quoi s'affoler
de la sorte, Édith ! Je ne vais pas partir tout de suite
Vous êtes toutes comme ça, dans votre pays ?... Dimitri prit le fin visage d'Édith
entre ses mains et l'embrassa avec passion, jusqu'à chanceler.
Ils dansèrent ainsi, évoquant un frêle esquif à
la dérive. Leurs corps fusionnaient, ondulant au gré de
la musique. Petit à petit, Dimitri attira Édith vers un
coin sombre et posa ses deux mains à plat sur ses fesses
Il malaxa sans vergogne les rotondités de sa partenaire, leur imprimant
de savants petits mouvements de balancier, tout en continuant de l'embrasser
à pleine bouche. Le jeune avocat regarda la carte
avec un petit pincement au cur, puis la glissa dans la poche intérieure
de son smoking. Ils quittèrent ensuite le club pour s'engouffrer
dans un taxi. Il donna son adresse au chauffeur en prenant la jeune femme
contre son épaule, laquelle vint s'y blottir aussitôt. Trente
minutes après, ils se retrouvèrent dans le vestibule de
l'appartement de Dimitri. Édith, qui connaissait déjà
les lieux, se dirigea aussitôt vers la salle de bains sans plus
attendre. Par-dessus son épaule elle lança à Dimitri
: L'instant d'après elle s'éclipsa,
abandonnant Dimitri dans le salon. Il se dirigea vers le bar, en sortit
un seau qu'il remplit d'eau et de glace pilée, ouvrit une bouteille
de champagne et la plongea dans le liquide glacé. Ensuite, il ôta
sa veste et attrapa deux flûtes en cristal. Au moment de rejoindre
celle qui l'attendait, il loucha sur son smoking en se souvenant du petit
mot laissé par Déborah. Il attrapa prestement le carton
et relut le message. Il s'aperçut alors qu'il s'agissait d'une
carte de visite et que les coordonnées de la jeune femme étaient
inscrites en bas de sa missive. Dimitri poussa un soupir de soulagement,
remerciant silencieusement Déborah de lui avoir permis de la retrouver
Du moins, se força-t-il à croire à cette version.
Il déposa la carte dans son secrétaire, en ferma le tiroir
à clef, puis se dirigea tranquillement vers sa salle de bains. Un petit clapotis attira son regard.
Édith, allongée dans un nuage de mousse parfumée,
le fixait avec attention. Il déposa le seau et les deux coupes
sur un petit guéridon, le plaça au bord de la baignoire,
puis se dévêtit entièrement. La jeune femme poussa
un petit cri admiratif lorsqu'elle découvrit la nudité de
l'homme pour qui elle craquait. Musclé, avec un ventre plat, l'avocat
russe affichait un corps d'athlète. Sa musculature saillait sous
son torse glabre, lui donnant ainsi une allure dès plus virile.
Trente années de vie saine, sportive, malgré ses hautes
études, lui avaient permis de conserver les avantages incontestables
de la jeunesse. Dimitri se glissa délibérément
dans l'onde fleurée du bain, attrapa les deux flûtes qu'il
remplit avec adresse. Adresse
était bien le mot, car, durant
l'exercice, l'émoustillante Édith caressait le sexe de son
futur amant avec une diabolique précision. Elle finit par obtenir
l'effet souhaité et trinqua avec lui en le regardant droit dans
les yeux, chavirée. Le nectar absorbé en un clin d'il,
elle reposa le délicat récipient vide sur la desserte puis
s'allongea sur le torse chaud de Dimitri. Leur baiser s'éternisa
un long moment, durant lequel chacun des amants caressa l'autre sans aucune
retenue. C'est Édith elle-même qui vint s'empaler sur la
verge en érection. Elle poussa un soupir de volupté, puis
entama un savant va vient en faisant onduler son bassin d'avant en arrière
en roulant des hanches. - Chéri, j'ai eu envie de
toi dès le premier regard, reconnut la jeune femme. Seigneur que
c'est bon ! Comme tu es fort
Baise-moi, chéri
- "Elle a dû sortir,
pensa-t-elle
" Édith sentit les larmes lui
monter aux yeux puis demanda, penaude : En fin de matinée, les amants
quittèrent leur nid douillet pour se rendre chez Déborah.
Durant leur trajet en voiture, Édith essaya à maintes reprises
de joindre son amie, sans succès. Inquiète, elle se confia
à Dimitri : La porte de l'ascenseur s'ouvrit
quelques instants après sur une jeune femme en larmes et trépignant
de rage devant la porte d'un appartement apparemment vide. Dimitri fut stupéfait par
le loft élégant de Déborah. Il s'agissait d'un duplex
superbe, décoré avec un raffinement exquis. Quelques photos
de mode, disséminées çà et là, vantaient
la beauté de celle dont les atouts semblaient figés pour
l'éternité grâce au regard professionnel des photographes
de mode. Il apprécia les nombreux livres et bibelots, en connaisseur,
et resta un long moment à observer les nombreux clichés
épars. La jeune femme se dirigea ensuite
vers la salle de bain, abandonnant Dimitri dans le salon. Il en profita
pour regarder quelques revues, confortablement assis dans un sofa de cuir
havane clair. Il entendait parfois les rires de ses amies couvrir leur
chahut. Insidieusement, le visage de Déborah lui revenait sans
cesse
Il n'arrivait pas à oublier la jeune femme, même
lorsqu'il faisait l'amour à Édith
Il n'aurait jamais
dû céder aussi vite à ses avances
À cause
de cette terrible erreur, il se voyait perdre le cur de celle qui
faisait battre le sien
Bien entendu, Édith était belle
à croquer et sa spontanéité avait fait le reste
mais, Déborah, c'était autre chose... La grande classe
Il aimait chez elle cette retenue innée, que seules possèdent
les personnes bien éduquées, ainsi que ce regard bleu profond,
si doux, qui le désarmait complètement dès qu'il
se posait sur lui
- Vous me faites bien trop d'honneur,
très chères. L'auberge que Dimitri avait retenue
se situait sur les bords de la Marne
C'était un endroit paisible,
où l'on pouvait déjeuner au bord de l'eau et se détendre
en s'enivrant des multiples senteurs printanières alentour. Partout
où le regard se posait, les berges offraient de magnifiques rivages
fleuris où l'onde murmurante venait y chanter sa complainte. Les
jeunes gens sirotaient leurs apéritifs, en attendant d'être
servis. Depuis un petit moment, ils restaient silencieux, chacun perdu
dans ses pensées, abrités derrière ses lunettes de
soleil. De temps à autre, Déborah adressait un regard furtif
à l'avocat assis en face d'elle et le détournait dès
que leurs yeux se croisaient
Quelque chose de nouveau s'était
immiscé lentement entre eux, sans qu'ils sachent exactement quoi.
Une attirance mutuelle, incontrôlable, comme un désir secret
qui vous ronge le cur. Des bouffées de chaleur empourpraient
parfois les joues du jeune mannequin. Édith, quant à elle,
rejetée en arrière dans son fauteuil d'osier, laissait le
soleil chauffer sa peau, les yeux fermés, heureuse. Soudain, sa
voix claire leur parvint : Édith adopta soudain un visage
renfrogné et leur confia à voix basse : Déborah lui serra doucement
les mains, adressant un regard chargé d'une compassion sincère
à son amie de toujours. Son cur battait à tout rompre,
d'un seul coup. Le voile venait de se déchirer brutalement, exposant
la fragilité des êtres face aux aléas de la vie. Le
reste du repas s'acheva dans une atmosphère de tristesse absolue
et ce malgré la beauté des lieux et les saveurs incomparables
déposées sur leur table. Vers quinze heures, ils quittèrent
l'auberge pour regagner Paris. Le cur n'y était plus
Durant tout le trajet ils ne dirent mot jusqu'à l'appartement de
Déborah puis, une fois arrivés, ils abandonnèrent
celle-ci après de brefs adieux. Dimitri prit sagement la direction
du domicile d'Édith, qu'ils atteignirent vers dix-sept heures.
Parvenu devant l'élégante petite résidence, il gara
sa voiture puis se retourna vers la jeune femme dont le visage affichait
une peine infinie. - Édith, je suis très
sincèrement malheureux de ce qui se passe en ce moment. Tu es une
femme adorable, que pour tout l'or du monde je ne voudrais faire souffrir.
Je te conjure de me croire. Je ne voulais pas ça
Ils restèrent silencieux
un long moment. Dimitri avait pris Édith dans ses bras et lui caressait
la joue en lui couvrant le front de petits baisers affectueux et doux.
Elle gardait les yeux fermés, d'où quelques larmes s'écoulaient
silencieusement. Ses délicates narines dilatées s'emplirent
du parfum de cet homme merveilleux qui allait la quitter. Elle plongea
son visage contre le torse de son amant, puis éclata en sanglots
Un moment après, Édith se redressa, embrassa furtivement
Dimitri sur les lèvres, puis sortit de la berline en refermant
la portière doucement. Celui-ci regarda tristement s'engouffrer
la silhouette de la jeune femme dans le porche de son immeuble, pour disparaitre
ensuite à sa vue. Tout était dit. Il ne servait à
rien d'ajouter autre chose
Prononcer des mots inutiles qui, de toute
façon, conduiraient au même point
Le destin qui manipulait
les êtres humains pouvait être ainsi, à la fois cruel
et merveilleux. Dans la soirée, et à plusieurs reprises,
Dimitri, en proie au repentir, appela l'appartement d'Édith, mais
n'obtint que son répondeur. Il y laissa pourtant le message suivant
: Édith demeura injoignable
et ne rappela pas son ex-amant. Une semaine entière passa, sans
qu'Édith et Déborah ne revoient Dimitri. Les deux amies
se rencontrèrent durant leurs nombreuses activités professionnelles,
à plusieurs reprises. Elles avaient repris le travail avant la
date prévue, sans se concerter, éprouvant le besoin de trouver
un exutoire au vide causé par l'absence de celui qui avait, sans
le vouloir, bouleversé leurs vies. Les deux femmes s'étaient
retrouvées, sachant l'une et l'autre que c'était le destin
qui avait placé cet homme sur leur chemin
Elles ne laisseraient
pas faire ce hasard cruel. Leur amitié y survivrait, même
si l'une d'elles semblait avoir les faveurs du sort
Les défilés
de mode, ainsi que les séances de photos et les essayages, s'enchainèrent
alors. Le messager du destin vivait un
véritable calvaire
Il n'était bon à rien et
qui plus est, venait de perdre sa toute première affaire auprès
des tribunaux. Conscient de sa condamnable inefficacité, Dimitri
sollicita un congé exceptionnel auprès de la direction du
célèbre cabinet d'avocats qui l'employait et décida
de tenter sa chance. Il fallait à tout prix forcer sa destinée.
Déborah se détendait dans la mousse de son bain, lorsque
le téléphone sonna. La jeune femme sursauta puis, allongeant
passivement le bras vers l'appareil pausé sur le bord de sa baignoire,
questionna : Un long silence s'en suivit. La
jeune femme tenait le combiné d'une main tremblante. Ainsi donc,
elle ne s'était pas trompée
Il éprouvait de
l'amour pour elle
Ses regards, si appuyés, n'avaient pas
menti
Perdue dans ses réflexions, elle sursauta à
la voix anxieuse de son interlocuteur et faillit laisser échapper
l'appareil dans l'eau du bain. - " Il est amoureux de moi,
pensa-t-elle
J'étais folle d'inquiétude à l'idée
de ne plus le revoir et voilà que le destin nous fait signe à
nouveau
Comment faire pour qu'Édith ne se doute de rien
du moins pour l'instant. Le temps que je lui explique. " Il se doucha longuement, laissant
l'eau chaude irriguer la moindre parcelle de sa peau, puis ferma les yeux
pour ne plus voir que son beau visage. Jamais, au cours de ses aventures,
il n'avait connu une telle passion amoureuse. Dimitri pensa aux siens,
demeurés en Russie et qu'il eut bien aimé revoir pour leur
crier tout l'amour qu'il éprouvait envers cette Française,
si merveilleuse. Il était convaincu, désormais, qu'elle
était la femme de sa vie et que sa destinée ne saurait être
qu'à ses côtés. Il se sécha soigneusement tout
en réfléchissant à la conduite à tenir. Il
fallait être patient. Surtout, ne pas commettre le moindre faux
pas
Avant de se vêtir, il s'aspergea
le torse et le visage avec son eau de toilette. Il opta ensuite pour un
costume élégant, d'un bleu nuit, sobre et agrémenté
de fines rayures fuchsia. Il choisit une chemise d'un ivoire très
pâle, assortie d'une cravate de soie de couleur identique aux stries
de son ensemble. Une heure plus tard, sa limousine émergea du parking
souterrain pour rejoindre le périphérique proche. Dimitri
conduisait en souplesse, totalement détendu et heureux. Il prit
soudain conscience, en observant la route défiler devant son regard,
qu'il avait rendez-vous avec l'amour de sa vie
Quelques minutes plus tard, il se
présenta à l'interphone du luxueux appartement de Déborah.
Celle-ci lui répondit sans attendre et le prévint qu'elle
descendait le rejoindre. À son arrivée, il poussa un soupir
de joie en la rassurant sur sa beauté, puis l'embrassa tendrement.
Le jeune mannequin portait pour l'occasion une robe fourreau noire, fendue
très haut sur des bas ultrafins, rehaussés d'escarpins vernis.
Elle arborait un chignon savamment coiffé et porté bas sur
la nuque. Une rivière de diamants, délicatement posée
sur sa gorge, cascadait entre ses seins dont le décolleté
apparaissait vertigineux
Deux boucles d'oreilles en forme de larmes,
longues et fines, encadraient un visage au maquillage léger, mais
sophistiqué. On eut dit une déesse. Vénus en personne
Dimitri demeura ébahi par
tant de classe et de beauté. Il affirma, conquis : Le portier s'empressa auprès
d'eux, tandis que le voiturier conduisit la voiture vers les parkings
du célèbre établissement. Le hall coruscant du George
V, amena sur le visage du mannequin un émerveillement non dissimulé.
Au cours de ses fréquents déplacements lors des défilés
de haute couture, ou des séances de photos, elle n'avait jamais
connu un tel luxe, un raffinement pareil. Déborah se retourna,
puis déposa un baiser furtif sur les lèvres de Dimitri. Le maître d'hôtel accourut
auprès d'eux, obséquieux à souhait, puis les conduisit
vers la salle de restauration. À l'approche du couple, le silence
se fit. Des dizaines de paires d'yeux les dévisagèrent un
instant, comme s'il se fût agi du couple de l'année
Déborah rayonnait. Elle s'installa sur le fauteuil, galamment approché
par son ami, se plongeant un instant dans la contemplation de la somptueuse
salle. Dimitri prit place à son tour et commanda une bouteille
de champagne Kruger, d'un millésime prestigieux. Déborah fixa soudain gravement
son ami, sans rien dire, troublée. Dimitri lui prit les mains délicatement,
avec une infinie tendresse, et les serra doucement. Ils demeurèrent
ainsi, jusqu'à l'arrivée du sommelier. L'attente ne fut
pas longue et lorsqu'ils se retrouvèrent seuls, à nouveau,
le jeune homme leva son verre en cristal pour porter un toast. La soirée fut d'une exquise
qualité, alternant la saveur des mets à celle des vins fins.
Chacun à leur tour, tous deux brossèrent le tableau de leur
vie. Se confiant ainsi le contenu d'un passé retraçant tous
les évènements qui marquèrent leur jeune existence.
Rien ne leur fit obstacle, tant ils avaient hâte de connaître
tout l'un de l'autre. La griserie provoquée par les alcools aidant,
ils rirent de leurs galéjades et passèrent ainsi une soirée
inoubliable. Plus tard, Déborah confia à Dimitri, émue
: Les deux jeunes gens passèrent
ensuite dans l'un des confortables salons jouxtant le restaurant, où
ils se firent servir café et pâtisseries. Ils goûtèrent
au bonheur d'être ensemble à nouveau, prolongeant autant
que faire se peut ces instants magiques. Un peu plus tard, Dimitri proposa
de terminer la soirée dans une boîte de nuit élégante. Après avoir dansé
longuement, ils rejoignirent leurs fauteuils pour se reposer un peu. Ils
trinquèrent aux bonheurs de la vie. Déborah se dandinait
sur son pouf, manifestement folle des rythmes latinos. Une série
de slows vint se succéder aux airs de salsa et de rumba. Dimitri
prit délicatement les mains de la jeune femme puis l'entraîna
à sa suite. Ils se fondirent dans une foule compacte où
ils s'infiltrèrent comme ils purent pour danser encore. Durant le trajet du retour ils ne
dirent mot... Comme si la magie avait subitement laissé la place
à un vide déconcertant. Déborah sembla s'abandonner
à quelques rêves secrets, tandis que Dimitri se concentrait
sur la conduite. Plus tard, sa limousine vint se ranger devant l'hôtel
particulier. Il descendit à regret, laissant le moteur tourner,
contourna le véhicule et vint ouvrir délicatement la portière
de sa passagère. Le visage de l'avocat affichait une tristesse
infinie
Avec un effort sur lui-même, pour ne pas être
indélicat, il précisa : Ils se dirigèrent alors vers
l'ascenseur en se tenant par la main et une fois à l'intérieur,
soudèrent leurs bouches d'un baiser violemment passionné.
Au cours de la montée, qui dura un instant, ils chancelèrent
comme pris de vertige. Leurs corps, étroitement liés, ne
faisaient qu'un. La porte de l'appartement ouverte ils se jetèrent
dans le salon, fermant l'huis du pied et tombèrent à même
la moquette où, fous de bonheur, ils roulèrent en riant
aux éclats, heureux. Après quelques caresses ardentes, Déborah
entraîna délibérément Dimitri dans sa chambre
où ils s'étendirent sur le vaste lit de la jeune femme. Dimitri fit glisser le linge délicat
avec d'infinies précautions jusqu'aux chevilles, qu'il dégagea
de toutes entraves, puis remonta vers le puits d'amour offert
Il
couvrit cette peau si délicate et abondamment parfumée,
de baisers brûlants, en même temps qu'il se dévêtait
avec une telle impatience qu'elle amena un rire de gorge chez sa partenaire
Lorsque son ardeur atteignit son paroxysme, il plongea doucement son sexe
turgescent dans celui de Déborah, qui poussa un feulement rauque.
Dimitri, au comble de l'extase, se mit à labourer à grands
coups de reins le sexe embrasé de son amour. La jeune femme s'accrocha
à celui qu'elle aimait, telle une naufragée agrippant son
bateau à la dérive. Gémissant sans arrêt,
folle de plaisir, elle releva soudain ses cuisses à la verticale
puis les écarta au maximum afin que son fougueux amant puisse la
posséder à sa guise. Dans cette posture, leur chevauchée
éperdue ne dura que quelques instants
Dimitri ne put retenir
plus longtemps la vague de fond qui annonçait son plaisir et se
répandit à longs traits brûlants dans le ventre de
celle qu'il désirait si ardemment. Les amoureux, ivres de leur bonheur, jouirent encore avant de se câliner dans l'onde bienfaitrice du bain. Comblés, ils gagnèrent ensuite le douillet refuge des draps de satin ivoire du lit de Déborah. Épuisés par leurs intenses joutes amoureuses, ils s'abandonnèrent aux bras de Morphée et s'endormirent lovés l'un contre l'autre. L'amour venait de transfigurer leur vie, pour toujours, leur offrant en récompense un avenir empli d'une indicible félicité. Fin Guy Vigneau |
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